Bogota, 8 février (RHC-PL)- Le cardinal colombien et l’évêque de Bogota, Rubén Salazar, a déclaré que l’église prépare une marche nationale de prière en soutien au processus de paix qui a lieu à La Havane entre le gouvernement et les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie- Armée du Peuple.
Lors d’une réunion de la Conférence Episcopale, regroupant 86 évêques, le cardinal a signalé au président du pays, Juan Manuel Santos, la nécessité d’humaniser la guerre et a souligné les acquis faits à la recherche d’une concertation pour mettre fin au conflit qui dure depuis plus d’un demi siècle.
La réunion des religieux a lieu deux fois par an, et cette foi-ci elle a été centrée sur le processus de paix, ses difficultés ses avancées et ses attentes.
Le quatrième cycle de conversations entre le gouvernement de Bogota et la guérilla se déroule à La Havane, avec comme pays garants Cuba et la Norvège. Le Chili et le Venezuela agissent comme accompagnateurs.
Colombie: La répression et la terreur d’État se "consolident" à La Marina, Chaparral (Tolima)
Le Sud du Tolima a été touché par le conflit social et armé comme peu de zones de Colombie l’ont été, avec une longue histoire de conflits agraires qui remonte aux années 30.
Le territoire de La Marina, commune de Chaparral, connaît depuis quelques années une militarisation croissante, par le biais des zones dites de consolidation militaire, qui a intensifié la violence du conflit [1].C’est là qu’opèrent la Fuerza de Tarea Conjunta Vulcano [NdT:Force conjointe d’action Volcan] et le 17ème Bataillon d’Infanterie "José Domingo Caicedo" de la Sixième Brigade de l'armée de terre.
Carte des mégaprojets dans le Tolima : or, pétrole, irrigation, routes et barrages
Guerre sale et mégaprojets
Cette force militaire a mené une campagne anti-insurrectionnelle intense dans un des bastions des FARC-EP [2], dont le Front 21 est actif dans cette zone et l’armée a décidé de l’éradiquer par le biais d’une guerre sale et en terrorisant la population civile. Pour cela, le Bataillon Caicedo a utilisé tous les moyens légaux et illégaux à sa disposition, s’alliant étroitement aux paramilitaires. Au début de 2012, six militaires de ce bataillon ont été arrêtés avec d’autres mafieux pour appartenance à la bande "Los Urabeños", dédiée à des tâches de harcèlement politique, de contre-insurrection et de "nettoyage social" ainsi qu'au narcotrafic [3]. Les "Aigles Noirs", qui opèrent également dans la zone n’ont jamais été inquiétés par les autorités. Les paysans du coin disent que, dans le même style que les anciens "chulavitas" [membres de groupes paramilitaires des premières années de la Violencia, NdT], ce seraient les soldats du Bataillon Caicedo en personne qui sortent cagoulés et en civil pour intimider la population. On entend de toutes parts des rumeurs comme quoi "les paracos [paramilitaires] vont arriver, que s’ils ne partent pas ils seront massacrés à la tronçonneuse… sous la consolidation militaire, les enfants grandissent dans la peur".
Check-point militaire sur une route de Chaparral à La Marina
À La Marina, tout le monde dit que derrière cette militarisation et para-militarisation se cachent des intérêts qui vont au-delà de la simple contre-insurrection. On dit que l’objectif n’est pas seulement de déloger les guérilleros mais aussi tous les paysans qui résistent au projet hydro-électrique qui doit être développé dans la zone vers la fin mars ; c'est-à-dire qu’il s’agit de « nettoyer » le territoire de façon à ce que ce projet puisse avancer sans rencontrer la moindre résistance qu’elle soit armée ou civile.
Une paysanne de la zone raconte:
« Il n’y avait jamais eu autant de militaires, autant d’arrestations, on était bien tranquilles. Mais en 2008, on a commencé à parler d’un projet hydro-électrique au fil de l’eau, par tunnel, qui serait réalisé par une entreprise de Medellin appelée ISAGEN…il y en a qui disaient que cela allait changer le cours de l’eau et assécher la terre, mais l’Etat disait que le sous-sol lui appartenait et pas à nous, que peu importait que nous ayons ou non notre ferme. Nous avons vu ce qui s’est passé à San José de Las Hermosas, où ils ont fait la même chose et des fermes qui donnaient 125 quintaux de café à l’année, maintenant ne récoltent plus rien. Ils veulent en faire quatre de plus à Rio Blanco… mais nous, on n’a rien à dire, on n’a qu’à ravaler notre salive si on n’est pas content ».
Les paysans et habitants du coin, inquiets face à cette situation, informés de ce qui s’était passé à Las Hermosas avec le projet hydro-électrique, ont constitué une association appelée Asoembeima ; l’association paysanne du secteur, ASTRACATOL (membre de la FENSUAGRO) s’est également prononcée contre ce projet. Dès lors a commencé une histoire de persécution qui n’en finit pas.
La "consolidation" contre les paysans: délation rémunérée et fausses démobilisations
Les paysans considèrent que c’est avec l’arrivée du lieutenant John Jairo Vélez à La Marina en 2010, qu’a commencé une politique systématique de harcèlement à leur encontre, ils se plaignent que des mandats d'arrestation aient commencé à pleuvoir contre eux et que du jour au lendemain, ils se sont tous retrouvés suspectés d'être des miliciens [civils sympathisants des FARC, dont ils constituent des bases d'appui, NdE].
Appliquant le célèbre maxime “Diviser pour régner”, l’Etat s’est employé à opposer entre eux les membres de la communauté pour pouvoir développer son plan anti-insurrectionnel de contrôle social et de mégaprojets. Ils ont d’abord commencé par les réseaux d’informateurs, cherchant ainsi à diviser la communauté en semant le doute et la méfiance en son sein.
Reinel Villabón, ancien inspecteur de police à La Marina et dirigeant de SINTRAGRITOL (Syndicat des travailleurs Agricoles de Tolima) raconte que « le plus grave c’est qu’on est en train de fabriquer des démobilisés pour pouvoir traîner en justice les gens qui travaillent. D’après la Constitution, la peine de mort n’existe pas mais dans la réalité, on sait bien qu’elle existe. Parce que bombarder des gens en train de dormir, ou bien les attraper, dire que ce sont des miliciens et les tuer, c’est appliquer la peine de mort ». Sur les fausses démobilisations, rappelons que c’est précisément dans le sud du Tolima que s’est forgée la démobilisation massive d'au moins deux fausses structures qu'on a fait passer pour des guérilléros : le soi-disant Bloc Cacica La Gaitana et la prétendue colonne Norma Patricia Galeano [4]. Ce ne sont que deux cas parmi les plus connus et reconnus mais il y en a beaucoup d’autres d’après Villabón :
“Jugez vous-même, ils sont arrivés une fois chez un Monsieur qui est muletier, que je connais et ils lui ont dit ’démobilisez-vous et on vous donne un petit peu d’argent’ et si les gens refusent de participer à cette comédie, alors on leur dit qu’ils en subiront les conséquences…la radio du Bataillon Caicedo faisait des signalements de gens, en donnant des noms, et les enjoignant à se démobiliser….le lieutenant John Jairo Vélez a donné un numéro de téléphone à Chaparral pour les dénonciations, le rendez-vous avait lieu dans le parc. Ils ont ainsi proposé à une femme très pauvre de la coopérative, Lucero Váquiro, d’améliorer ses conditions de vie et elle a fini par dénoncer beaucoup de gensˮ.
Une paysanne nous explique qu’ils connaissaient Lucero Váquiro depuis toujours, qu’elle n’avait jamais été ni milicienne, ni guérillera. Elle nous dit que tout ça était une vaste farce et que par nécessité économique, elle a commencé à dénoncer tous ceux qu’elle a pu. Elle ajoute que sur les 30 soi-disant démobilisés qu’on utilise aujourd’hui pour entamer des procès contre les paysans, pas un seul n’est un ancien guérillero. Un autre paysan dit : « ils achètent des témoins ici, des fainéants à qui on offre de l’argent pour dénoncer n’importe qui, s’il n’y avait pas ce foutu système de récompenses, rien de cela n’arriverait ».
La "consolidation" contre les paysans: l’assassinat
Toute cette politique de répression et de terreur contre la communauté ne s’est pas arrêtée à la délation. Le 30 mars 2011 deux paysans, Gildardo Garcia et Héctor Orozco, ont été assassinés alors qu’ils se rendaient de Chaparral à La Marina, au niveau d’Espiritu Santo à Albania. L’assassinat s’est produit entre deux barrages du Bataillon Caicedo et jusqu’à aujourd’hui il reste totalement impuni. Qui étaient les deux personnes assassinées ? D’après Villabón, c’était « des gens bien, des travailleurs. C’était des paysans qui cultivaient des haricots, des mûres, du café, des tomates arbustives et des narangilles. Garcia était membre d’ASTRACATOL. Ils l’ont appelé à Orozco pour une fausse démobilisation, il a refusé. Comme il avait une petite boutique à San Fernando, sur les hauteurs de la Marina, ils l’ont accusé d’aider la guérilla parce qu’il leur vendait des choses ».
Cela faisait un an qu’ils harcelaient Héctor Orozco. Les militaires le recherchaient, ils le traitaient de milicien, « camarade » sans lui montrer d’ordre de capture, et en plus ils l’appelaient pour qu’il participe à une fausse démobilisation. Au poste, ils ont commencé à le harceler en lui demandant pour qui il achetait les marchandises. D’après sa femme, « le lieutenant Vélez était celui qui s’acharnait le plus, quand il le voyait il lui disait qu’il avait déjà eu 47 guérilleros, qu’il lui en fallait trois de plus et qu’il s'offrirait des vacances bien méritées. Il l’autorisa seulement à se déplacer entre Chaparral et La Marina, uniquement sur ce tronçon. Il lui demandait pourquoi il alimentait la guérilla, ils ont commencé à nous rationner et à nous affamer, jusqu’à ce qu’il lui donne trois mois de délai pour renoncer à ASTRACATOL et devenir informateur. Comme il a refusé, ils l’ont assassiné ».
Selon Villabón, celui qu’ils voulaient assassiner vraiment, c’était Orozco, mais en contrôlant Gildardo Garcia et en voyant son nom de famille, ils l’ont tué aussi : « Voyez, ici le lieutenant Vélez a déclaré que tous les Garcia étaient un objectif militaire, parce que l’un d’entre eux était parti dans la montagne avec la guérilla. Alors toute la famille Garcia est recherchée, on leur met la pression, on les tue. Auparavant, ils avaient torturé et assassiné Don Tiberio Garcia dans le hameau Brisas de San Pablo ».
On a rapporté aussi le cas de faux positifs dans la zone: le 3 juin 2007, l’armée et le Gaula [Groupe d’action unifiée pour la liberté personnelle, unité anti-kidnapping de l'armée colombienne entraînée par les USA, NdT] ont assassiné Jaro Eber Morales à Santa Ana (ainsi que trois autres personnes) en prétendant que cela s’était passé lors d'un affrontement armé ; le 19 juillet 2007 ils ont également assassiné Camilo Avila et Don Jesus Maria Rianos au carrefour de Rio Blanca en venant de La Marina.
Chaque capture de guérillero fait l'objet d'une mise en scène comme ici, en novembre 2011, la capture de ‘Fabián’ ou ‘El Calvo’ (Le Chauve), présenté comme deuxième commandant de la colonne mobile ‘Daniel Aldana’ des FARC, suivie de celle des 5 paysans accusés de faire partie des milices bolivariennes d'appui aux FARC.
La "consolidation" contre les paysans: les arrestations
En novembre 2011, sous l’inculpation de « rébellion et financement de groupes terroristes », on arrête les frères Edwin Lugo Caballero et José Norbey Lugo Caballero, Arcesio Díaz, Aycardo Morales Guzmán, Saan Maceto Marín et Fredynel Chávez Marín (ce dernier originaire de Las Hermosas). Tous appartenaient à ASTRACATOL, c’étaient des personnes qui s’étaient mises en avant pour la défense des droits des paysans et du territoire. Ils arrêtent aussi Alexander Guerrero Castañeda, président de l’Assemblée d’Action Communale de La Marina ainsi qu’Armando Montilla Rey, membre de l’Assemblée d’Action Communale de La Esperanza, du Rio Blanco.
Selon l’avocate Karen Tapias, de la Fondation Lazos de Dignidad chargée de défendre les prisonniers d’ASTRACATOL, il s’agit d’un dossier particulièrement léger et rempli d’irrégularités : « Avant tout, les 30 témoins de l’accusation sont supposés être des réinsérés. Cependant, des guérilleros qui ont plus de dix ou vingt ans dans les FARC-EP, qui se trouvent en prison, disent ne pas les connaître, et qu’ils sont en train d’utiliser des civils à qui cela procure des avantages économiques. Il est certain que ces soi-disant démobilisés ont bénéficié d’avantages économiques, éducatifs ou en logements ». Pompilio Diaz, père d’Arcesio Diaz, un des détenus, a dit qu’ils avaient « acheté son fils pour cinq millions de pesos » [2000 €].
L’avocate dit que” le texte de l’accusation est basé sur un témoignage supposé d’une personne que l’on n’a pas identifiée…nous n’avons pas la certitude que le témoignage ait existé ou bien s'il ait été inventé par la police judiciaire, il n’y pas de preuve qu’une personne appartenant à l’insurrection ou à la population civile soit venue faire la dénonciation… José William Devia Moreno, en charge de l’investigation, a dit qu’il a reçu le témoignage mais qu’il n’a jamais vu la source humaine ».
D’après Tapias, ces procès sont d’une nature éminemment politique. « C’est quelque chose qui existe depuis quelque temps, mais qui a augmenté maintenant parce qu’il y a un besoin particulier, avec la construction de ce barrage et que les gens qu’on accuse en ce moment d’appartenir au Front 21 sont tous des paysans qui se sont élevés contre ce projet. De plus, ASTRACATOL est associée à la Marche Patriotique et nous connaissons tous les stigmatisations dont fait l’objet ce mouvement, il ne s’agit pas de faits isolés ». Le père d’un des détenus en est conscient quand il rappelle que « les soldats savent que mon fils n'a rien à se reprocher, mais ils disent que c’est la faute de la famille qui est mouillée, parce que nous faisons partie de la Marche Patriotique ».
Les audiences du procès contre les 8 détenus reprendront le 25 janvier à Ibagué, avec les 25 témoins de la défense [audience reportée au 14 février, NdE]. Pendant ce temps-là, ces prisonniers supportent des conditions déplorables dans la prison de Picaleña, où règnent un manque d’eau pratiquement constant, des abus de pouvoir de la part des gardiens, ainsi qu’une carence en soins médicaux. Il est nécessaire de mobiliser toute la solidarité parce qu’il ne s’agit pas ici d’un cas judiciaire mais d’une attaque frontale contre le peuple qui s’organise.
La "consolidation" militaire comme forme de violation permanente contre la population
La dégradation de la situation, fruit de la militarisation par la consolidation, touche même les rangs de l’Armée. Quatre soldats de La Marina, qui étaient en train de faire leur service, ont également été arrêtés en septembre 2011, pour collaboration supposée avec l’insurrection. Vilman Useche Pava, Wilmer Javier Pérez Parra, Isidro Alape Reyes et Jason Orlando Castañeda ont été arrêtés alors qu’ils étaient en service sur la base de Piedras à Ibagué. Leurs accusateurs sont les faux démobilisés eux-mêmes qui accusent les prisonniers d’ASTRACATOL et des JAC [Juntas de Acción Comunal =Groupes d'Action Communale, comités d'habitants ayant une existence légale, NdE]. En ce moment, l’armée lance toute une série d’ordres de capture contre des infirmiers et des médecins pour une supposée collaboration avec l’insurrection et parce qu’ils soignent les guérilleros. Il y a également des ordres de capture de commerçants, supposés aider financièrement l’insurrection et de faire du commerce avec les guérilleros; on menace aussi les proches des guérilleros et on les arrête pour crimes de sang ; une véritable offensive contre toute personne qui exprimera une opinion à l’encontre des 7 projets hydro-électriques en cours dans le sud du Tolima.
Pour Tapias, il existe une situation humanitaire grave, où l’on observe “un contrôle des aliments qui entrent dans la zone comme de tout autre type de vivres et de médicaments, c’est l’armée qui décide de ce que mange la population et dans quelle proportion, et quels sont ses besoins en médicaments… par le biais de l'émetteur radio du Bataillon Caicedo de l’armée nationale on désigne des personnes de la région par leur nom et prénom comme étant des miliciens du Front 21 des FARC, sans qu’il existe de procédures juridiques à leur encontre et ils sont invités à se démobiliser. Ils font du porte-à-porte, offrent de l’argent à la population et demandent qui sont les guérilleros dans la zone…nous avons entendu des dénonciations qui lient les paramilitaires à l’armée, c’est une situation extrêmement grave »
Quand on demande aux paysans si l’armée a apporté la sécurité au village, les paysans sont virulents: « Ce que l’armée a apporté, c’est la violence, surtout les soldats professionnels qui viennent tous d’ailleurs. Les garçons d’ici qui sont dans l’armée ne s’en mêlent pas, ils ne veulent pas se battre, ce sont ceux qui viennent de l’extérieur qui réellement apportent la violence. » Tous se plaignent quedepuis que l’armée est arrivée, on a cherché à opposer les voisins entre eux et on a semé la discorde avec le système des informateurs. Ils ont aussi utilisé d’autres méthodes comme d’envoyer des colis au nom des paysans avec des tracts pour obtenir des récompenses pour augmenter les suspicions que tel ou tel paysan sert d’informateur et dégrader le climat de cette façon en augmentant la méfiance. Dans cette atmosphère, ils espèrent rendre difficile l’organisation et la résistance des paysans aux expropriations.
Villabón Leal nous dit : “avec la consolidation, le problème du déplacement s’aggrave, parce que les paysans ne peuvent plus cultiver parce qu’on les bombarde, on leur lance des bombes, on mitraille les cimes et les vallons, on vous repère, on vous contrôle comme si on était dans une prison, avec des appareils numériques pour relever les empreintes, avec des photos... le seul but de la consolidation territoriale, c’est de faire entrer les multinationales ».Fernando Chacón, dirigeant d’ASTRACATOL à Chaparral est aussi d’accord avec cette analyse quand il dit que le climat de terreur constante avec les mitraillages et les bombardements, doublé de persécution que l’on fait subir aux organisations sociales a à voir avec le fait de « vider cette zone stratégique de ses paysans pour leurs projets de pseudo-développement , qui enrichit seulement quelques-uns, venus d’ailleurs…pour cela, ils veulent en finir avec notre culture, avec notre manière de vivre, notre personnalité de paysans ».
Ce qui est certain, malgré tout, c’est que les paysans font preuve d’une admirable résistance pour ne pas disparaître. Les organisations paysannes se renforcent dans tout le pays, malgré la militarisation, la persécution et la menace. Les organisations restent debout, en pleine rigueur de consolidation territoriale. Il est de notre devoir de continuer à brandir la bannière de la solidarité et de n' oublier ni les prisonniers, ni les paysans qui continuent à exiger une réforme agraire, au nom de la devise Terre et Liberté, si vieille et si actuelle.
Notes
[1] Pour connaître quelques antécédents sur la situation à La Marina, lire une interview précédente de Javier Orozco de la Commission Asturienne en 2010
http://anarkismo.net/article/21147
[2] Dans la commune de Chaparral les guérillas communistes ont agi depuis 1949, elles étaient à l’origine des groupes d’autodéfense paysanne face à la violence des gros propriétaires.
Colombie - Arbitraire et injustice pour les gueux : à propos des détenus de La Marina (Tolima)
Le 25 janvier devait se dérouler une nouvelle audience dans le cadre du procès contre les huit dirigeants paysans de La Marina accusés de "soutien à la subversion" et de rébellion. Edwin Lugo Caballero, José Norbey Lugo Caballero, Arcesio Díaz, Aycardo Morales Guzmán, Saan Maceto Marín, Fredynel Chávez Marín, Alexander Guerrero Castañeda et Armando Montilla Rey (ce dernier originaire de RíoBlanco), ont été accusés par des faux "guérilléros démobilisés", témoins à la solde du réseau de collabos, dans le cadre de la persécution qui sévit dans les zones de consolidation militaire contre toute forme d’organisation du peuple.
Leur procès se fonde sur le témoignage d’une personne non-identifiée. En réalité, ils sont poursuivis à cause de leur opposition au projet hydro-électrique d’ISAGEN dans l’Ambeima et pour leur défense des intérêts des paysans au sein du Comité d’Action Communale et dans le syndicat agraire ASTRACATOL. [1]
Pour les paysans, il s’avère très difficile de trouver de l’argent pour les transports et pour pouvoir assister au procès en qualité de témoins de la défense. Ils sont dans une terrible pauvreté, le voyage est long (environ six heures, parfois plus), il est très cher et représente au moins deux jours de travail perdus. Malgré ces sacrifices, et grâce à la solidarité internationale des camarades liés à des médias alternatifs comme Rebelión et La Pluma, ainsi que de ceux de la Marche Patriotique, on a pu collecter des fonds pour soutenir les paysans afin qu’ils puissent assister à l'audience comme témoins de la défense. Mais ce jour-là, le 25 janvier, la procureure Isabel Núñez Villalba, mine de rien, adécidé de s’absenter et tout simplement de ne pas être au procès- soi-disant pour motifs de santé-, mais les paysans n’en ont été informés que le jour même à huit heures du matin, alors qu’ils étaient déjà tous sur place.
De cette façon, non seulement on prolonge l’agonie de nos camarades emprisonnés, mais en plus, on dépense le peu de ressources sur lesquelles peuvent compter les paysans pour leur défense. Qui est responsable de tout cela ? Nous nous demandons s’il ne s’agit pas d’une stratégie d’usure vis-à-vis des familles des accusés. .
Notons, au passage, que tandis que les paysans sont poursuivis et injustement emprisonnés, sans disposer de moyens pour se défendre et tout en devant recourir à d’énormes sacrifices pour prouver leur innocence, les militaires accusés de faux positifs, de massacres et de viols d'enfants, bénéficient quant à eux gratuitement d’une défense de l’Etat, grâce aux impôts que paient tous les Colombiens, y compris les victimes de ces criminels en uniforme. Non seulement cela : pendant que nos paysans croupissent dans les cachots comme ceux de Picaleña à Ibagué, où ils subissent des mauvais traitements, sont privés d’eau et de soins médicaux, les militaires impliqués dans des crimes contre l'humanité jouissent de leurs soldes, de mobilité, de prostituées qui leur rendent visite, de coups à boire et de fêtes dans les casernes et les centres de réclusion cinq étoiles ( comme El Tolemaida Resort) où ils purgent leur peine. Tout ceci financé par les impôts des Colombiens, y compris de ceux qui ont perdu leurs enfants à cause de ces criminels.
Un adage populaire colombien dit que la loi n’est que pour les gueux. Mais on ne se rend même plus compte qu’il y a une loi, toute injuste, toute relative qu’elle soit ; ce qui prime, c’est l’arbitraire le plus absolu. La loi dans les zones de consolidation militaire est devenue le caprice des officiers de l’armée qui sont à la fois juges et bourreaux.
Ils peuvent avoir des prisons, un demi-million d’hommes en uniformes pour imposer leur « loi » et leur « ordre », ils peuvent avoir des milliers de paramilitaires pour imposer leurs « lois » non écrites, ils peuvent avoir des matraques pour tenter d’écraser les idées, mais ils n’ont pas raison. Ils ne l’ont pas eue au cours de ces 60 années de guerre contre le peuple pauvre, et ils ne l’auront pas davantage dans 60, dans mille, dans deux mille ans. C’est la raison qui nous donne la force pour continuer à lutter contre l’injustice ; c’est la solidarité qui nous permettra de l’emporter sur elle. Et c’est cette solidarité, celle qu’il nous faut mobiliser pour pouvoir faire en sorte qu’au cours de la nouvelle audience qui devrait avoir lieu le 14 février nous puissions réunir à nouveau des fonds et faire entendre cette fois la voix de la défense. Ces parents, on leur a déjà ravi deux Noëls avec leurs enfants. Ne permettons pas qu’ils en passent un autre derrière les barreaux. Nous voulons les voir enfin libres, libres de vivre, libres d’aimer, libres de s’organiser et de continuer à se battre pour une Colombie nouvelle.
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